Après l'effondrement de l'Etat, à la
fin de l'Ancien Empire, et les troubles de la Première Période
Intermédiaire (VIIe à la Xe dynasties), l'Egypte retrouva
une vie plus sereine pendant le Moyen Empire (XIe et XIIe dynasties).
Certains ont voulu voir une détérioration du statut de la
femme à cette époque mais il semble bien que son autonomie
persista, semblable à celle dont elle jouissait pendant l'Ancien
Empire.
L'organisation de la famille et de la vie privée
est assez similaire à celle de l'Ancien Empire. Les fouilles ont
permis de retrouver la ville de Kahun, à l'entrée du Fayoum,
qui hébergeait le personnel du culte funéraire de Sesostris
II. Dans cette ville du Moyen Empire, on a découvert des
maisons relativement bien conservées. On y a aussi retrouvé
des documents décrivant la composition de la maisonnée pendant
de nombreuses années:
- l'un d'entre eux concerne le soldat Hori.
Au départ, Hori habite la maison en compagnie de sa femme Shepset
et de leur jeune fils, Sneferu. Ensuite, s'y
ajoutent la mère de Hori et ses cinq filles [vraisemblablement,
le père de Hori étant décédé, il recueille
sa mère et les filles non mariées qui vivent encore avec
elle]. Suite à la mort de Hori, Sneferu hérite de la maison
et, encore célibataire, il y vit avec sa mère, son grand-père
maternel et trois des soeurs de son père. L'image de cette maisonnée
est celle d'une famille très nombreuse.
- un autre document montre qu'il n'en est pas toujours ainsi. La maisonnée
de Khakaura-Sneferu, prêtre du temple
mortuaire de Sesostris II, ne comporte que lui-même, sa fille et
son fils ainsi que 21 serviteurs. Il n'y a pas d'épouse présente...peut-être
était-il divorcé ou veuf.
Un problème de terminologie apparaît: depuis l'Ancien Empire,
le mot "hemet"
correspond à "épouse".
Au Moyen Empire, on voit apparaître le terme "hebsout"
que certains ont initialement traduit par "concubine".
Mais, dans certains cas, la "hebsout"
est aussi une "hemet". William Ward a suggéré
que la femme appelée "hebsout"
n'était pas la première femme d'un homme mais plutôt
une femme épousée plus tard, à la suite d'un divorce
ou du décès de la première. Un exemple instructif
de cette nuance est fourni par les messages que Heqanakt
(prêtre funéraire
du vizir Ipy à Thèbes, dont la correspondance a été
retrouvée à Deir
el-Bahari), retenu loin
de chez lui, faisait parvenir à sa famille:
Voyez! Celle-ci est ma "hebsut" et on sait ce que l'on
peut faire pour la "hebsut" d'un homme.
Voyez! Qui pourra jamais faire pour elle ce que j'ai fait - en
effet, l'un de vous pourrait-il être aussi compréhensif
si sa "hemet" lui avait été dénoncée
?
La famille d'Heqanakt n'acceptait pas la venue d'une nouvelle femme dans
sa maison !
Mais il faut constater que le terme "hebsut" se trouve rarement
sur les monuments où l'on trouve plus d'une femme appelée
"hemet". On peut considérer que "hebsut" désigne
plutôt une femme qui vient "après la première"
mais ne désigne pas ce que nous appellerions une "concubine".
Dans les tombes, on trouve de nombreuses statuettes en bois figurant
les domestiques qui vont servir le défunt dans l'au-delà.
Elles remplacent les figurines en argile de l'Ancien Empire et fournissent
de précieux renseignements sur la vie quotidienne. Ce sont
les mêmes thèmes que ceux que l'on trouve ailleurs, sur les
parois des mastabas et des tombeaux rupestres mais ils sont traités
de manière plus naïve et plus grossière. On peut y
voir la fabrication du pain et de la bière, des scènes de
cuisine, des porteurs et porteuses d'offrandes, des bateaux gréés
et leur équipage.
Porteuse d'offrandes. Bois. Tombe de Mektirê (Deir
el-Bahari).
XIe dynastie (2040-1990 av.JC)
(Musée égyptien, Le Caire)
Même scène. Bois. Tombe de Nakhti (Assiout)
Xe dynastie (1ère période intermédiaire,
vers 2100 av.JC)
Dans le cas particulier de ces porteuses d'offrandes, la richesse du
costume et les bijoux qu'elles portent, suggèrent que ce sont plutôt
des concubines que des servantes. Certains veulent y voir pour preuve
que les canards et les oies qu'elles transportent, sont souvent des symboles
dans les chants d'amour.
La fabrication de textiles est moins fréquemment représentée
dans les tombes. Cependant, certaines scènes montrent que ce domaine
était souvent réservé aux femmes: elles filent le
lin, tissent...
(extrait de Gustave Jéquier
1913)
Ces femmes étaient probablement plutôt des servantes que
des femmes de la maisonnée...bien que ces dernières aient
très bien pu participer à l'ouvrage.
Un papyrus du Moyen Empire, donne la liste des serviteurs d'une maison
dont 29 femmes: 20 d'entre elles sont occupées au tissage.
Atelier de tissage. Bois peint.
Tombe de Meketre, chancelier.
XIe dynastie.
Il est étonnant de constater que, même dans les tombes de
personnages féminins, on ne trouve pas de scènes dont l'élément
principal est la propriétaire du lieu. Un exemple en est la tombe
de Senet à Thèbes (XIIe dynastie).
Elle était la mère du vizir Intefiqer
et dans la chapelle, c'est la représentation de son fils qui domine
(on le voit chassant dans le désert ou en compagnie de sa femme,
mais sans sa mère). Initialement, on a d'ailleurs pensé
que la tombe était celle d'Intefiqer lui-même.
On trouve peu de statues de couple comparables à celles de l'Ancien
Empire car les tombes des dignitaires sont devenues plus modestes.
Hénénou et son épouse.
Stèle datant de la 1ère période intermédiaire
(2135-2040 av.JC)
(Rijksmuseum van Oudheden, Leyde)
Didou et sa femme. XIIe-XIIIe dynastie. Serpentine. (Abydos?)
(Royal Scottish Museum, Edimbourg)
Ces représentations ne montrent plus de gestes de tendresse entre
les époux et ont un aspect figé. Néanmoins, notons
que la taille de la femme égale celle de l'homme.
Mais il ne faut pas généraliser. Par exemple, sur cette
stèle trouvée à Abydos, la femme pose la main sur
l'épaule de son mari, évoquant une certaine tendresse.
Le "majordome" Antef et
son épouse Sathator.
Stèle. Abydos.
(XIIe dynastie. Vers 1950 av.JC)
Un autre exemple: les personnages représentés sur la stèle
de Niptah, tant féminins que masculins,
donnent une idée d'égalité entre les individus de
sexe différent.
Stèle de Niptah. Calcaire peint.
XIIe dynastie (vers1950 av.JC).
Niptah et son fils Antef ont le teint foncé
de ceux qui travaillent en-dehors de la maison.
Seni, épouse de Niptah, et sa fille
Ded ont le teint clair, indiquant qu'elles travaillent à
l'abri du soleil, dans la maison.
Cependant, il faut noter que la documentation en notre possession se
réfère toujours à la vie de famille d'une classe
d'élite, de plus ou moins haut statut. Rien ne nous permet d'affirmer
que dans les classes moins favorisées, la situation était
comparable. Les serviteurs, les paysans...étaient illettrés
et incapables de laisser des comptes rendus de leur vie. Les scènes
décrites dans les tombes le sont évidemment en faveur du
propriétaire dans l'idée de sa vie future.
Méfions-nous donc de l'interprétation
des scènes découvertes dans les tombes de la classe
favorisée. Nous ne pouvons pas affirmer qu'elles montrent la
vie exactement la vie quotidienne des classes moins favorisées
et il faut être prudent avant d'en déduire leur organisation
tant sociale que familiale.
Souvenons-nous que les représentations dans les tombes sont
des vues idéalisées.
Les titres portés par les femmes pendant
le Moyen Empire, sont fonction de leur place dans la hiérarchie
sociale. Gay Robins rapporte que William Ward distingue trois groupes
différents selon le rang de leurs époux.
Le premier groupe est celui des femmes de fonctionnaires supérieurs
:vizir, gouverneurs, nomarques, jusqu'au "compagnon unique"
qui est l'échelon inférieur de la hiérarchie supérieure.
Elles peuvent porter l'équivalent féminin du titre de leur
mari (iry-pat
et haty-a)
ou celui de
fille de haty-a. Plus fréquemment, elles
portent celui de "prêtresse de Hathor" (hemet netjer
ent Huthor) ou de "dame d'honneur unique"
(khekeret nesu watet) qui semblent correspondre
aux statuts sociaux les plus élevés.
On ne sait pas si la femme bénéficiait de ce titre grâce
à ses propres mérites, au statut de son mari ou les deux
à la fois. Le deuxième groupe correspond aux fonctionnaires moins
importants et les femmes y portent différents titres. Celui de
"citoyenne" (ankhet
ent niut) est assez fréquent mais sa signification exacte
n'est pas connue. On trouve aussi celui de "dame d'honneur"
( khekeret
nesu), inférieur à celui de "dame d'honneur
unique" du premier groupe. Une autre fonction est celle de prêtresse-wab
(équivalent féminin du prêtre-wab).
Enfin, servante d'une souverain qui concerne l'épouse d'un gouverneur
provincial.
Le troisième groupe rassemble les femmes de professions moins importantes:
domestiques de maison, surveillantes.
En ce qui concerne les charges administratives,
on peut dire que, même dans les classes plus favorisées,
les femmes étaient exclues de la structure bureaucratique officielle,
en raison de leur illettrisme. L'état était géré
par une administration d'hommes lettrés, formant une classe particulière.
L'ambition de ces fonctionnaires était de transmettre la charge
à leurs fils. Dès lors, ils leur faisaient suivre un enseignement
approprié pour devenir scribe. Puisque les filles n'entraient pas
dans la filière administrative, elles n'avaient pas besoin de fréquenter
les écoles de scribe...ce qui ne signifie pas qu'aucune d'entre
elle ne savait lire ni écrire.
Dans cet ordre d'idées, il est intéressant de noter, pendant
le Moyen Empire, l'apparition du terme "seshet",
féminin du mot "sesh"
qui signifie "scribe".
Pour certains, ce titre signifierait "peintre de la bouche"
ou "esthéticienne". Pourtant, on a découvert une
certaine Idwy, propriétaire d'un sceau
en forme de scarabée, ce qui est plutôt un signe de prestige...il
y a peu de chances qu'il ait appartenu à une esthéticienne.
On peut donc supposer qu'il y ait eu "quelques" femmes exerçant
la fonction de scribe mais certainement en très petit nombre. De
plus, rien ne prouve qu'elles aient participé à la gestion
de l'état. Il est plus vraisemblable qu'elles aient fait partie
de l'organisation de maisons de dignitaires ou de la maison royale. Autre
constatation, on ne trouve pas ce terme de "seshet" pendant
l'Ancien Empire ni pendant le Nouvel Empire.
D'autres titres administratifs ont pu être portés par des
femmes mais probablement plus dans des maisons privées que dans
le gouvernement: tels "chambellan", "surveillant de la
cuisine", "majordome"... On ne connaît pas la signification
de tous les titres répertoriés à cette époque
mais l'une de ces charges était particulièrement importante
et deux femmes l'ont assumée sous la XIIe dynastie: "gardien
du sceau". Le scellage était indispensable en ces temps où
les serrures et les clés étaient inconnues. Il permettait
de protéger les entrepôts, les magasins...de toute intrusion
non autorisée.
Dans l'ensemble, on a l'impression que les femmes du Moyen Empire exercent
moins de fonctions dans l'administration que précédemment
(Gay Robins et Henry Fischer).
En-dehors de l'administration, des charges typiquement
féminines sont à signaler:
- la fonction de "nourrice" représentée sur des
monuments et, le plus souvent, faisant partie de la représentation
de groupes familiaux.
- parmi les scènes de métiers décorant les chapelles
des tombes, la grande majorité font appel à du personnel
masculin. Mais il est un domaine qui est quasiment une exclusivité
féminine: celui du textile. On voit les femmes filer et tisser.
- la préparation des aliments est souvent représentée
mais les femmes en sont généralement absentes.
- la musique est très présente dans les rituels religieux
et funéraires. L'existence de musiciennes et de danseuses persiste
mais si, pendant l'Ancien Empire, une femme pouvait être "surveillante"
de l'une de ces troupes, ce n'est plus le cas au Moyen Empire. L'autorité
passe aux mains d'un homme et d'ailleurs, on trouve maintenant aussi des
hommes musiciens et danseurs.
Danseurs et danseuses.
Tombe d'Antefiker(vizir de Sesostris I). XIIe dynastie.
- l'agriculture était essentielle dans la vie quotidienne et est
souvent représentée. Si pendant l'Ancien Empire, on voyait
des femmes vannant le grain, à partir du Moyen Empire, elles accompagnent
les hommes qui moissonnent. Elles ramassent les épis tombés
, apportent des rafraîchissements aux travailleurs masculins. On
ne les voit jamais couper les céréales.
Sur le plan légal, on possède des
documents plus nombreux que pour l'Ancien Empire. La possibilité,
pour la femme, d'être propriétaire, d'hériter et de
léguer ses biens, est bien réelle. Citons un exemple:
- à la fin de la XIIe dynastie, un prêtre, Wah,
ayant hérité des biens de son frère Ankhreni,
désira les léguer à sa femme en lui laissant la faculté
d'en disposer à sa guise.
" Testament fait par le prêtre...Wah:
Je fais un testament pour ma femme...Sheftu appelée Teti
- de tout ce que mon frère...Ankhreni m'a donné...Elle-même
le donnera à tout enfant qu'elle portera de moi, comme
elle le souhaitera.Je lui donne les trois Asiatiques que mon frère...m'a
donnés. Elle-même les donnera à l'un de ses
enfants comme elle le voudra. En ce qui concerne ma tombe, j'y
serai enterré et ma femme aussi, sans laisser personne
intervenir là-dedans. Maintenant, pour les pièces
que mon frère...Ankhreni a construites pour moi, ma femme
y vivra sans que personne ne puisse l'en chasser."
On a aussi retrouvé des preuves qu'une femme pouvait intenter
une action en justice.